POUR CHANGER LE PLOMB EN OR FIN

Il y a bien des gens qui rejette, comme incertaine, la méthode que le savant chimiste Falonius a laissé dans cet état pour changer le plomb en or fin, parce qu'elle paraît trop facile pour une œuvre d'importance ; cependant il n'est pas le seul entre les philosophes adeptes qui en ai parlé en termes équivalents. Basile, Valentin et Odomarus disent à ce sujet presque la même chose que Folopius. Quoiqu'il en soit : Voici de quelle manière il dit qu'il faut s'y comporter. Vous ferez infuser une livre d'eau de forge que vous aurez bien clarifiée par filtration ; l'infusion doit être de vint quatre heures, en telle sorte que la couperose soit entièrement liquéfiée et incorporée avec l'eau, puis la distillerez par filtration avec des morceaux de feutre bien net, et après par l'alambic au feu de sable, et vous conserverez cette distillation dans un bocal de verre fort, bien bouché, puis vous mettrez une once de bon vif argent purifié dans le creuset, que vous couvrirez pour empêcher l'évaporation ; Et quand vous pourrez présumer qu'il commencera à bouillir, vous y joindrez une once de feuille de bon or, et vous retirerez aussitôt le creuset du feu, ce qu'étant fait, prenez une livre de plomb fin et très purifié en la manière que nous dirons ci-après, lequel plomb étant fondu, vous y incorporerez la composition d'or et de vif argent que vous aurez préparée, et vous mélangerez bien ces trois choses ensemble sur le feu avec une broche de fer ; Et quand tout sera bien mélangé, ajoutez-y une once de votre eau de couperose et laisserez digérer le tout ensemble sur votre feu pendant un espace de temps ; et quand la composition sera refroidie, vous trouverez que ce sera de bon or. Remarquez que le plomb se prépare et se purifié en cette manière. Pour en avoir une livre purifié, il faut mettre à la cuillerée quatre onces au-dessus de la livre pour suppléer aux scories et à l'évaporation, puis l'ayant fondu pour la première fois, on le fait éteindre dans du bon vinaigre clarifié ; on le fond de rechef, et on le fait éteindre dans du jus ou suc de chélidoine ; on continue de le refondre, et on l'éteint en eau salée ; enfin on le fond pour la dernière fois, et on l'éteint dans du fort vinaigre, dans lequel on aura éteint de la chaux vive, et il sera bien purifié.

 

La fabrication de la pierre philosophale était un processus d'une grande complexité. L'alchimiste devait d'abord découvrir la matière première en fouillant dans les profondeurs de la terre. Ensuite, la réalisation de la pierre passait par quatre étapes principales : la première consistait à dissoudre la matière en eau, la deuxième à évacuer l'eau superflue par volatilisation et à coaguler la matière pour obtenir un produit visqueux, la troisième à séparer et à rectifier les matières les plus subtiles, la quatrième enfin à unir ces esprits purs pour obtenir la pierre philosophale. Ces étapes comportaient elles-mêmes toute une série d'opérations dont le nombre, variable, n'a jamais été définitivement établi et au sujet duquel les auteurs se contredisent ; on en répertorie souvent douze, par référence aux signes du zodiaque ; elles ont été désignées par les couleurs que prenaient les produits au cours des expériences. Peu à peu on en a retenu trois, qui sont la putréfaction ou œuvre au noir, l'albification ou œuvre au blanc, et la rubification ou œuvre au rouge. L'œuvre au noir, parfois aussi appelée mélancolie par association avec l'un des quatre tempéraments humains définis par la vieille théorie des humeurs, visait à débarrasser la matière de ses impuretés ; elle avait aussi un sens pour la personne même de l'alchimiste, celui de mourir au monde pour gagner l'éternité. L'œuvre au blanc, dont le symbole était un arbre portant des lunes, avait pour but la production de la pierre blanche capable de transmuer les métaux vils en argent, et, sur le plan spirituel, de restituer l'âme au corps purifié. Enfin, l'œuvre au rouge, dite aussi le Grand Œuvre, ou Grand Magistère, obtention de la pierre philosophale, avait pour symbole un arbre portant des soleils. La transmutation des métaux en or se faisait en projetant dans le métal chauffé ou fondu un petit morceau de la pierre enrobé de cire. Utilisée comme panacée, la pierre était dissoute dans de l'eau mercurielle (or potable).

La recherche de la pierre philosophale revêt une double dimension qui réunit les deux pôles caractéristiques de l'alchimie : d'une part, le pôle de la réflexion sur la nature et des recherches techniques applicables à la médecine — Paracelse (1493-1541) oriente ainsi l'alchimie vers la fabrication de médicaments — ou à l'industrie (céramique, métallurgie) ; d'autre part, le pôle mystique et spéculatif. Le Grand Œuvre a une signification spirituelle qu'un passage de la Turba Philosophorum, texte latin du IXe ou du Xe siècle, fait clairement apparaître : la réalisation de la pierre marque le moment où « toute la mer, toute la terre se fendront et les corps qui étaient morts se lèveront des tombeaux et seront glorifiés [...] et le corps, l'esprit et l'âme seront unis glorieusement » ; elle est le moyen de conduire toutes les créatures à l'unité. La pierre philosophale tient son pouvoir de ce qu'elle contient dans des proportions parfaites les principes métalliques (dont le mercure en quantité supérieure) et les quatre éléments constitutifs de l'univers — eau, terre, feu, air — auxquels s'ajoute la quintessence, cinquième élément de synthèse. C'est pourquoi l'alchimiste la considère comme un microcosme miroir du macrocosme. Croyance en l'omniprésence de l'esprit dans la nature, vision d'un monde clos et harmonieux, on retrouve dans la représentation alchimiste de la nature des traits caractéristiques du vitalisme naturaliste de la Renaissance.




       



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