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Si un grand peintre avait pu immortaliser l'un de ces moments, il aurait sans doute appelé son
œuvre Scène de chasse au dahu. Au cœur d'une forêt engourdie par une froide nuit d'hiver, un homme à l'affût, appeau à la bouche, sac dans une main, gourdin dans l'autre, attend sa proie. Dans le regard fiévreux de l'homme, l'artiste aurait saisi la lueur du dépit. En fait de chasseur, l'homme n'est qu'une victime ou un adepte de plus de la chasse au dahu. Des générations entières s'y sont livrées. Adultes d'hier, enfants d'aujourd'hui, nombreux sont ceux qui se sont retrouvés à la nuit tombante enrôlés par des villageois, les organisateurs d'une colonie de vacances ou d'un camp de scouts, dans une chasse au dahu. Où qu'elle se pratique, son déroulement est, quasi immuable. Il convient d'abord de s'informer sur les caractéristiques morphologiques de l'animal: Le dahu a des pattes plus courtes d'un côté que de l'autre. Cette particularité l'oblige à vivre à flanc de montagne ou de coteau. L'animal ne peut se déplacer qu'en suivant les courbes de niveau et ne se rencontre ainsi jamais en plaine. Pour le traquer, une bande de joyeux rabatteurs est requise afin d'effrayer l'animal par un concert de casseroles, de tambours, de trompettes et de hurlements et de le diriger en direction du ou des chasseurs. Apeurée, la bête tentera de se retourner, perdant du coup l'équilibre. Il ne restera plus alors au chasseur qu'à se jeter sur elle et à l'enfermer dans un sac. Mais, retors et malin, le dahu arrive toujours à s'en tirer au grand dam du chasseur qui se retrouve seul, en pleine nuit, transi de froid et de peur. De fait, jamais aucun chasseur, même le plus aguerri, n'a jamais réussi à attraper ni même voir cette énigmatique et farouche bête. Comment une telle pratique a-t-elle pu perdurer alors
même qu'elle n'a jamais été couronnée de succès ? C'est que le dahu occupe une place à part
parmi les animaux légendaires ou apocryphes. La chasse au dahu doit en effet être envisagée comme un jeu de société, au double sens de "sociétal", ce qui créé un ordre de l'entre soi et de "divertissement ", activité consistant à s'occuper l'esprit pour mieux oublier sa condition. Quiconque a participé à une traque au dahu souscrira sans réticences à ces descriptions. Même s'il y a toujours une victime à ce jeu, cette activité représente un support de communion et d'allégresse collective.
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